Les clauses nulles en bail commercial : Ce que la réforme a changé pour les bailleurs et preneurs

La réforme du droit des baux commerciaux, initiée par la loi Pinel du 18 juin 2014 et complétée par diverses dispositions législatives ultérieures, a profondément remanié l’équilibre contractuel entre bailleurs et preneurs. Le législateur a instauré un régime de nullité visant certaines clauses jugées déséquilibrées. Cette évolution marque un tournant dans la conception même du bail commercial, traditionnellement dominé par une grande liberté contractuelle. La nullité impérative de certaines stipulations contractuelles constitue désormais une limite tangible à l’autonomie des parties, imposant aux praticiens une vigilance accrue lors de la rédaction des contrats.

Les fondements juridiques de la nullité des clauses en bail commercial

La réforme du bail commercial s’inscrit dans une dynamique plus large de protection de la partie faible au contrat. Le statut des baux commerciaux, codifié aux articles L.145-1 et suivants du Code de commerce, a été substantiellement modifié par la loi Pinel du 18 juin 2014. Cette loi a introduit l’article L.145-15 qui frappe de nullité d’ordre public toute clause ou convention dérogeant aux dispositions des articles L.145-4, L.145-37, L.145-41 et de l’article L.145-42 relatifs respectivement au droit au renouvellement, à la révision du loyer, à la résiliation judiciaire et aux charges.

Le législateur a ensuite étendu ce dispositif par l’article L.145-16-1 qui interdit les clauses mettant à la charge du locataire des dépenses relatives aux travaux, impôts, taxes et redevances qui, par leur nature, ne devraient pas lui incomber. Ces dispositions ont été renforcées par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, qui a consacré la théorie des clauses abusives dans le Code civil, offrant ainsi un fondement supplémentaire pour sanctionner les déséquilibres contractuels.

La jurisprudence a joué un rôle déterminant dans l’interprétation de ces textes. La Cour de cassation, dans un arrêt du 3 novembre 2016 (Cass. 3e civ., n°15-16.826), a précisé la portée de la nullité en matière de charges et impôts. De même, par un arrêt du 7 juillet 2020 (Cass. 3e civ., n°19-14.239), elle a confirmé le caractère d’ordre public de ces dispositions, empêchant toute renonciation anticipée du preneur à invoquer la nullité.

Cette évolution législative et jurisprudentielle traduit une volonté de rééquilibrer les relations entre bailleurs et preneurs, tout en prenant en compte les spécificités du bail commercial. La sanction de nullité, particulièrement sévère, témoigne de l’importance accordée par le législateur à la protection du locataire commercial, considéré comme la partie économiquement plus faible dans la relation contractuelle.

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Les clauses relatives aux charges et travaux désormais nulles

La réforme a particulièrement ciblé les clauses relatives à la répartition des charges et travaux entre bailleur et preneur. Avant la réforme, la pratique contractuelle avait généralisé les baux dits « triple net » où l’intégralité des charges, y compris structurelles, était transférée au locataire. L’article L.145-40-2 du Code de commerce, issu de la loi Pinel, impose désormais une répartition équitable des charges.

Sont ainsi frappées de nullité les clauses qui mettent à la charge du preneur:

  • Les dépenses relatives aux gros travaux mentionnés à l’article 606 du Code civil (réfection des gros murs, des voûtes, rétablissement des poutres et couvertures entières)
  • Les dépenses de mise en conformité avec la réglementation future des locaux existants

La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette nullité. Dans un arrêt du 13 juin 2019 (CA Paris, Pôle 5, ch. 3, n°17/21001), la Cour d’appel de Paris a considéré que la clause mettant à la charge du preneur la réfection complète de la toiture était nulle. De même, le 28 janvier 2021 (CA Versailles, ch. 12, n°19/06909), la Cour d’appel de Versailles a invalidé une clause faisant supporter au locataire les frais de mise aux normes incendie de l’immeuble.

Concernant l’inventaire des charges, l’article L.145-40-2 exige qu’un état prévisionnel annuel des travaux soit communiqué au preneur. Le décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 précise que le bail doit comporter un inventaire précis et limitatif des catégories de charges avec leur répartition. À défaut, la clause de refacturation est nulle, comme l’a confirmé la Cour d’appel de Paris le 5 février 2020 (CA Paris, Pôle 5, ch. 3, n°18/03880).

L’application dans le temps de ces dispositions a suscité des interrogations. La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mars 2021 (Cass. 3e civ., n°19-21.729), a précisé que ces nullités s’appliquent aux baux conclus ou renouvelés après l’entrée en vigueur de la loi Pinel, soit le 20 juin 2014, mais pas aux baux en cours à cette date. Cette application temporelle différenciée oblige les praticiens à vérifier la date de conclusion ou de renouvellement du bail pour déterminer le régime applicable.

La nullité des clauses relatives au loyer et à sa révision

La réforme a considérablement encadré les stipulations contractuelles concernant le loyer et sa révision. L’article L.145-39 du Code de commerce, qui permet une révision du loyer en cas de variation de plus de 25% de sa valeur locative, est d’ordre public. Toute clause visant à écarter cette faculté est désormais frappée de nullité absolue.

L’encadrement de l’indice de référence pour la révision du loyer constitue une innovation majeure. L’article L.112-2 du Code monétaire et financier, modifié par la loi Pinel, dispose que l’indice des loyers commerciaux (ILC) ou l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT) doivent être utilisés, à l’exclusion de tout autre indice. La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 2016 (Cass. 3e civ., n°14-24.681), a confirmé la nullité d’une clause prévoyant une indexation sur l’indice du coût de la construction (ICC).

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Concernant le plafonnement du loyer lors du renouvellement, l’article L.145-34 du Code de commerce pose le principe selon lequel la variation du loyer ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel applicable. Le Tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 10 septembre 2020 (TJ Paris, n°19/07235), a déclaré nulle une clause écartant ce plafonnement en cas de modification notable des caractéristiques du local.

Les clauses d’échelle mobile, permettant une révision automatique du loyer, sont également encadrées. L’article L.145-39 du Code de commerce interdit les clauses qui conduiraient à des augmentations de loyer supérieures à celles résultant de l’application de l’indice choisi. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 mars 2018 (Cass. 3e civ., n°17-70.040), a sanctionné une clause prévoyant une augmentation minimale garantie de 3% par an, indépendamment de l’évolution de l’indice.

Les clauses de loyer binaire, composées d’une partie fixe et d’une partie variable indexée sur le chiffre d’affaires du preneur, ont fait l’objet d’une attention particulière. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 avril 2019 (CA Paris, Pôle 5, ch. 3, n°17/20833), a validé ce type de clause à condition que la partie variable ne conduise pas à contourner les règles d’ordre public relatives à la révision du loyer et au plafonnement.

Les clauses restrictives de droits frappées de nullité

La réforme a invalidé de nombreuses clauses limitant les droits fondamentaux du preneur dans le cadre du statut des baux commerciaux. En premier lieu, les clauses restreignant le droit au renouvellement du bail sont nulles. L’article L.145-15 du Code de commerce frappe de nullité toute convention tendant à interdire au locataire de demander le renouvellement du bail. La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. 3e civ., n°19-20.179), a confirmé la nullité d’une clause par laquelle le preneur renonçait par avance à l’indemnité d’éviction.

Les clauses limitant la cession du bail ont également été encadrées. L’article L.145-16 du Code de commerce prohibe les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail à l’acquéreur de son fonds de commerce. La jurisprudence a étendu cette protection en invalidant les clauses qui restreignent excessivement cette faculté. Ainsi, dans un arrêt du 30 janvier 2019 (Cass. 3e civ., n°17-28.416), la Cour de cassation a jugé nulle une clause soumettant la cession à des conditions financières dissuasives.

Concernant la résiliation anticipée, l’article L.145-4 du Code de commerce, modifié par la loi Pinel, accorde au locataire la faculté de donner congé à l’expiration de chaque période triennale. Toute clause supprimant cette faculté est nulle, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 12 mars 2020 (CA Lyon, ch. 8, n°18/08453). Toutefois, les parties peuvent valablement convenir d’un bail de courte durée (moins de 3 ans) sans faculté de résiliation anticipée.

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Les clauses de solidarité renforcée entre le cédant et le cessionnaire ont été particulièrement ciblées. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 décembre 2020 (Cass. 3e civ., n°19-24.214), a jugé que la clause étendant la solidarité du cédant aux successeurs du cessionnaire était contraire à l’ordre public statutaire. De même, la durée de cette solidarité ne peut excéder trois ans à compter de la cession, comme l’a précisé la Cour d’appel de Paris le 16 septembre 2020 (CA Paris, Pôle 5, ch. 3, n°19/03387).

Stratégies d’adaptation pour les rédacteurs de baux commerciaux

Face à la multiplication des clauses susceptibles d’être frappées de nullité, les praticiens doivent adopter de nouvelles méthodes rédactionnelles. La première recommandation consiste à réaliser un audit systématique des baux existants pour identifier et modifier les clauses potentiellement nulles avant tout renouvellement. Cette démarche préventive permet d’éviter des contentieux coûteux et incertains.

Pour les nouveaux baux, l’élaboration d’un inventaire précis des charges et leur répartition conforme à l’article L.145-40-2 du Code de commerce est primordiale. Les rédacteurs peuvent s’inspirer du modèle proposé par le Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC), qui distingue clairement les charges récupérables de celles qui ne le sont pas. La transparence dans l’information du preneur constitue désormais un impératif catégorique.

Concernant les clauses relatives aux travaux, la distinction entre les travaux d’entretien et les gros travaux de l’article 606 du Code civil doit être clairement établie. Une solution consiste à prévoir une liste limitative des travaux mis à la charge du preneur, en excluant expressément ceux visés par l’article 606. La jurisprudence du 18 mai 2017 de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, ch. 3, n°15/00886) offre des lignes directrices utiles pour cette distinction.

Pour sécuriser les clauses relatives au loyer, les praticiens peuvent recourir à des mécanismes alternatifs comme le pas-de-porte ou le droit d’entrée, qui constituent une contrepartie à l’avantage procuré par la location des murs commerciaux sans être soumis aux règles d’ordre public sur le loyer. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 février 2017 (Cass. 3e civ., n°15-28.691), a validé ces pratiques sous réserve qu’elles ne constituent pas un moyen de contourner les dispositions impératives.

Enfin, l’insertion d’une clause de divisibilité peut permettre de préserver l’économie générale du contrat en cas d’annulation d’une clause spécifique. Cette technique, validée par la Cour de cassation dans un arrêt du 10 octobre 2019 (Cass. 3e civ., n°18-16.063), prévoit que la nullité d’une stipulation n’entraîne pas celle de l’ensemble du contrat, mais uniquement son remplacement par les dispositions légales applicables.

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