Violence conjugale : Les peines s’alourdissent, la justice s’adapte

Face à l’ampleur du fléau des violences conjugales, la justice française durcit le ton. Nouvelles lois, peines plus sévères, dispositifs de protection renforcés : le système judiciaire se transforme pour mieux lutter contre ce phénomène. Décryptage des évolutions récentes et des enjeux à venir.

Un arsenal juridique renforcé

Ces dernières années, le législateur a considérablement renforcé l’arsenal juridique pour lutter contre les violences conjugales. La loi du 30 juillet 2020 a notamment introduit de nouvelles infractions et alourdi les peines encourues. Désormais, les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours sont punies de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, contre 2 ans et 30 000 euros auparavant.

Pour les violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours, la peine maximale passe de 5 à 10 ans d’emprisonnement. En cas de violences habituelles, la peine peut aller jusqu’à 14 ans de réclusion criminelle. Le harcèlement au sein du couple est désormais puni de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Des circonstances aggravantes élargies

Le législateur a élargi le champ des circonstances aggravantes applicables aux violences conjugales. Sont désormais considérés comme facteurs aggravants :

– La présence d’un mineur lors des faits
– L’utilisation d’une arme
– Les violences commises sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants
– Les violences commises par un ex-conjoint ou ex-partenaire

A lire également  Délai succession dépassé : Que faire et quelles conséquences ?

Ces circonstances aggravantes peuvent entraîner un doublement des peines encourues. Par exemple, des violences ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours commises devant un enfant seront passibles de 20 ans de réclusion criminelle au lieu de 10.

Le bracelet anti-rapprochement : une mesure phare

Parmi les nouveaux dispositifs, le bracelet anti-rapprochement (BAR) occupe une place centrale. Instauré par la loi du 28 décembre 2019, il permet de géolocaliser l’auteur des violences et de déclencher une alerte s’il s’approche de la victime. Le BAR peut être ordonné dans le cadre d’une procédure pénale (contrôle judiciaire, condamnation) ou d’une procédure civile (ordonnance de protection).

Depuis son déploiement en septembre 2020, plus de 1000 bracelets anti-rapprochement ont été attribués. Ce dispositif s’avère particulièrement efficace pour prévenir la récidive et rassurer les victimes. Toutefois, son utilisation reste encore limitée et certains acteurs plaident pour une généralisation du BAR.

L’ordonnance de protection renforcée

L’ordonnance de protection, créée en 2010, a été considérablement renforcée ces dernières années. Ce dispositif civil permet au juge aux affaires familiales de prendre rapidement des mesures pour protéger la victime de violences conjugales, sans attendre une éventuelle condamnation pénale.

Depuis la loi du 28 décembre 2019, le délai d’examen de la demande d’ordonnance de protection a été réduit à 6 jours maximum. Le juge peut désormais :

– Attribuer la jouissance du logement familial à la victime, même si elle a quitté le domicile
– Ordonner la prise en charge des frais de relogement de la victime par l’auteur des violences
– Interdire à l’auteur des violences de détenir une arme
– Ordonner le port d’un bracelet anti-rapprochement

A lire également  La cybercriminalité : enjeux, législation et défis pour la justice du 21e siècle

Ces évolutions ont permis une augmentation significative du nombre d’ordonnances de protection délivrées, passant de 1 672 en 2016 à 3 952 en 2020.

Une justice plus réactive

Face à l’urgence des situations de violences conjugales, la justice s’efforce d’apporter une réponse plus rapide et efficace. Plusieurs dispositifs ont été mis en place :

– La comparution immédiate est de plus en plus utilisée pour juger rapidement les auteurs de violences conjugales
– Les « téléphones grave danger » permettent aux victimes d’alerter immédiatement les forces de l’ordre en cas de menace
– Des filières d’urgence ont été créées dans les tribunaux pour traiter prioritairement les affaires de violences conjugales
– Le recours à la visioconférence a été facilité pour permettre aux victimes de témoigner à distance

Ces mesures visent à réduire les délais de traitement judiciaire et à mieux protéger les victimes pendant la procédure.

La formation des professionnels : un enjeu majeur

Pour améliorer la prise en charge des victimes et le traitement judiciaire des violences conjugales, la formation des professionnels est cruciale. Des efforts importants ont été réalisés ces dernières années :

– Formation obligatoire de tous les magistrats à la problématique des violences conjugales
– Sensibilisation des policiers et gendarmes à l’accueil des victimes et au recueil des plaintes
– Formation des avocats sur les spécificités juridiques des violences conjugales
– Création de référents violences conjugales dans les tribunaux et les services de police/gendarmerie

Ces formations visent à mieux détecter les situations de violences, à améliorer l’accompagnement des victimes et à apporter une réponse judiciaire plus adaptée.

A lire également  Porter plainte pour faux et usage de faux : comment agir efficacement ?

Les défis à relever

Malgré ces avancées significatives, plusieurs défis restent à relever pour améliorer la lutte contre les violences conjugales :

– Augmenter le taux de plaintes : seules 18% des victimes portent plainte
– Réduire le taux de classement sans suite, encore trop élevé (environ 80%)
– Améliorer la coordination entre les différents acteurs (justice, police, associations)
– Développer les dispositifs de prise en charge des auteurs pour prévenir la récidive
– Renforcer la protection des enfants exposés aux violences conjugales

Ces enjeux font l’objet de réflexions et de propositions de la part des acteurs de terrain et des pouvoirs publics.

La lutte contre les violences conjugales est devenue une priorité judiciaire et sociétale. Les évolutions législatives et les nouveaux dispositifs mis en place témoignent d’une prise de conscience collective de la gravité de ce phénomène. Si des progrès restent à accomplir, la justice s’adapte progressivement pour mieux protéger les victimes et sanctionner plus efficacement les auteurs de violences conjugales.

Partager cet article

Publications qui pourraient vous intéresser

Face à l’érosion croissante de la biodiversité et aux menaces pesant sur les écosystèmes, le droit de l’environnement s’est progressivement doté d’outils juridiques pour protéger...

Le forfait Navigo est un élément essentiel pour de nombreux Franciliens qui utilisent les transports en commun au quotidien. Cependant, il peut arriver que l’on...

Le procès de John Demjanjuk, qui s’est déroulé de 2009 à 2011 en Allemagne, a marqué l’histoire judiciaire par sa complexité et ses enjeux. Accusé...

Ces articles devraient vous plaire