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ToggleLe droit de la consommation connaît une transformation majeure avec l’avènement des nouvelles dispositions relatives à la nullité du consentement dans les transactions numériques. En 2025, le cadre juridique européen et français renforce substantiellement la protection des consommateurs vulnérables face aux pratiques commerciales trompeuses en ligne. Ces réformes instaurent des mécanismes inédits de contestation des contrats conclus sur internet, redéfinissent les conditions du consentement éclairé et imposent de nouvelles obligations aux professionnels du e-commerce. Ces changements législatifs répondent directement aux enjeux soulevés par l’intelligence artificielle et les dark patterns qui manipulent subtilement les choix des internautes.
Le cadre juridique rénové du consentement numérique
La réforme du droit de la consommation entrée en vigueur en janvier 2025 modifie en profondeur la conception juridique du consentement électronique. Le législateur a souhaité adapter les principes classiques du Code civil aux spécificités des environnements numériques, où la rapidité des transactions et les interfaces sophistiquées peuvent faciliter la formation de contrats sans réel assentiment. Le nouveau règlement européen 2024/789 relatif à la protection des consommateurs dans l’environnement numérique, transposé en droit français par l’ordonnance du 15 novembre 2024, instaure une présomption réfragable d’absence de consentement lorsque certaines conditions techniques ne sont pas respectées.
Désormais, le vice du consentement peut être établi non seulement par les moyens traditionnels (erreur, dol, violence), mais grâce à des critères objectifs liés à l’ergonomie des interfaces. L’article L.224-42-3 du Code de la consommation précise que tout parcours d’achat induisant en erreur le consommateur sur la nature ou les caractéristiques essentielles du produit ou service peut entraîner la nullité du contrat. Cette disposition s’inspire de la jurisprudence de la CJUE (arrêt C-485/23 du 7 mars 2024) qui a reconnu que les interfaces manipulatrices constituent une forme moderne de dol.
Le législateur a instauré une présomption de vice dans trois situations spécifiques : lorsque le processus d’achat comporte moins de deux étapes distinctes de validation, quand les informations précontractuelles sont présentées dans une police inférieure à 12 points, ou lorsque le droit de rétractation n’apparaît pas explicitement avant la conclusion du contrat. Cette approche formelle facilite considérablement la charge de la preuve pour le consommateur qui n’a plus à démontrer l’intention dolosive du professionnel, mais simplement le non-respect de ces conditions techniques.
La mise en œuvre de ces dispositions est confiée à la DGCCRF qui dispose désormais d’un pouvoir d’injonction renforcé lui permettant d’ordonner la modification des interfaces en ligne sous astreinte pouvant atteindre 50 000 euros par jour de retard. Les sanctions administratives peuvent désormais atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel mondial pour les entreprises contrevenantes, alignant ainsi les pénalités sur celles du RGPD.
L’impact des dark patterns sur la validité des contrats en ligne
Les dark patterns représentent l’une des principales menaces à l’authenticité du consentement en ligne. Ces techniques d’interface utilisateur conçues pour manipuler subtilement les choix des consommateurs font l’objet d’un encadrement juridique sans précédent dans la loi n°2024-217 du 3 avril 2024. Le texte définit précisément ces pratiques comme « tout élément de conception d’interface qui a pour effet ou pour objet de subvertir l’autonomie décisionnelle du consommateur en exploitant des biais cognitifs ».
La jurisprudence récente a commencé à appliquer ce cadre légal avec rigueur. Dans son arrêt du 12 septembre 2024, la Cour d’appel de Paris a invalidé un contrat d’abonnement conclu sur une plateforme de streaming qui utilisait un système de countdown (compte à rebours) suggérant fallacieusement l’urgence d’une offre limitée dans le temps. Cette décision s’appuie sur l’article 1130-2 du Code civil, nouvellement créé, qui dispose que « le consentement est vicié lorsqu’il est obtenu par l’exploitation délibérée de biais cognitifs ou de vulnérabilités psychologiques ».
Catégorisation juridique des dark patterns
Le décret d’application n°2024-879 du 17 juin 2024 établit une taxonomie officielle des dark patterns prohibés, parmi lesquels :
- Les interfaces à friction asymétrique (plus d’étapes pour refuser que pour accepter)
- Les confirmshaming (formulations culpabilisantes pour dissuader un refus)
- Les hidden costs (frais révélés tardivement dans le processus d’achat)
- Les forced continuity (renouvellements automatiques insuffisamment signalés)
Cette classification facilite l’application du droit par les magistrats qui peuvent désormais s’appuyer sur des critères objectifs pour caractériser un vice du consentement. La Cour de cassation, dans son avis n°025/2024 du 14 mai 2024, a précisé que ces pratiques sont présumées constitutives d’un dol, le professionnel pouvant toutefois rapporter la preuve contraire en démontrant l’absence d’intention manipulatoire.
Les sanctions civiles en cas de dark patterns incluent non seulement la nullité du contrat mais désormais des dommages-intérêts punitifs plafonnés à 10 000 euros, innovation majeure dans notre droit de tradition romano-germanique. Cette évolution témoigne d’une volonté du législateur d’instaurer un véritable effet dissuasif à l’égard des pratiques commerciales déloyales en ligne, particulièrement celles ciblant les consommateurs vulnérables comme les mineurs ou les personnes âgées.
Les mécanismes de preuve et de contestation pour les consommateurs
La réforme de 2024-2025 introduit des innovations procédurales majeures facilitant l’action des consommateurs victimes de vices du consentement en ligne. Le nouveau dispositif s’articule autour d’un mécanisme de contestation simplifié et d’un allègement considérable de la charge probatoire. L’article L.218-2 du Code de la consommation institue une procédure de signalement électronique normalisé permettant de contester tout contrat conclu en ligne dans un délai étendu à 30 jours (contre 14 précédemment pour le droit de rétractation classique).
Cette procédure s’effectue via la plateforme gouvernementale SignalConso+, interface numérique sécurisée qui génère automatiquement une notification juridiquement opposable au professionnel. L’originalité du dispositif réside dans le renversement de la charge de la preuve : dès réception du signalement, le professionnel dispose de 72 heures pour apporter la preuve que le consentement a été valablement recueilli. À défaut, la nullité du contrat est prononcée de plein droit, sans nécessité d’une action judiciaire.
Pour faciliter cette contestation, le législateur a instauré un droit à la preuve numérique. L’article R.224-35-1 du Code de la consommation impose aux professionnels de conserver pendant trois ans un enregistrement horodaté du parcours d’achat complet de chaque consommateur, incluant les différentes étapes de navigation, les informations affichées et les actions de validation. Ces données doivent être communiquées au consommateur ou à l’administration sur simple demande, sous peine d’amende administrative de 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
Le décret n°2024-1024 du 29 juillet 2024 standardise le format de ces preuves techniques en définissant un protocole d’enregistrement uniforme, garantissant leur recevabilité devant les juridictions. Cette standardisation technique facilite l’expertise judiciaire et réduit considérablement les coûts de procédure pour les consommateurs. De plus, les associations de consommateurs agréées peuvent désormais accéder à ces données probatoires dans le cadre d’actions de groupe, renforçant l’effectivité du dispositif.
La médiation préalable obligatoire, instituée par l’article L.616-2 du Code de la consommation, constitue une étape intermédiaire efficace avant tout contentieux. Les médiateurs de la consommation, dont le statut a été renforcé, disposent désormais d’un pouvoir de qualification juridique leur permettant de se prononcer explicitement sur l’existence d’un vice du consentement. Leurs avis, bien que non contraignants, bénéficient d’une présomption simple de bien-fondé devant les tribunaux, incitant fortement les professionnels à s’y conformer.
L’intelligence artificielle et le consentement : enjeux spécifiques
L’émergence des interfaces conversationnelles et des systèmes d’IA dans le commerce électronique soulève des questions inédites concernant la formation du consentement. Le règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act), complété par les dispositions de la loi française n°2024-325 du 17 avril 2024, établit un cadre juridique spécifique pour les contrats conclus par l’intermédiaire d’agents conversationnels ou de recommandeurs automatisés.
Désormais, tout contrat proposé par un système d’IA doit être précédé d’une notification explicite informant le consommateur qu’il interagit avec une machine et non un humain. Cette obligation de transparence est codifiée à l’article L.224-109 du Code de la consommation qui impose une mention claire, dans une police distincte et en début d’interaction : « Vous dialoguez actuellement avec un système d’intelligence artificielle et non avec un conseiller humain ». L’absence de cette mention entraîne automatiquement la nullité du contrat subséquent.
Les systèmes de personnalisation algorithmique des offres commerciales font l’objet d’un encadrement particulièrement strict. L’article D.224-111 du Code de la consommation interdit désormais l’utilisation de données comportementales ou biométriques (temps de pause, mouvements oculaires, micro-expressions faciales captées par caméra) pour adapter dynamiquement les offres commerciales sans consentement préalable explicite du consommateur. Cette pratique, qualifiée de « hyperpersonnalisation prédatrice » par le législateur, est assimilée à une forme de violence économique viciant le consentement.
La jurisprudence commence à s’emparer de ces questions. Dans son jugement du 23 juin 2024, le Tribunal judiciaire de Nanterre a annulé un contrat d’assurance proposé par un chatbot qui avait analysé les hésitations de l’utilisateur pour adapter son discours commercial sans l’en informer. Le tribunal a considéré que cette « exploitation algorithmique des vulnérabilités décisionnelles » constituait un dol par réticence au sens de l’article 1137 du Code civil.
Les obligations d’information précontractuelle sont considérablement renforcées pour les systèmes d’IA. Tout professionnel utilisant de tels dispositifs doit fournir, avant la conclusion du contrat, une explication sur les principaux paramètres déterminant les recommandations personnalisées et les limites du système. Cette transparence algorithmique est contrôlée par l’Autorité de Régulation des Plateformes Numériques (ARPN), nouvelle autorité administrative indépendante créée par la loi du 17 avril 2024, qui peut exiger des audits techniques et imposer des modifications aux systèmes non conformes.
Vers une souveraineté décisionnelle du consommateur numérique
L’ensemble des réformes entrées en vigueur en 2025 dessine les contours d’un nouveau paradigme juridique : la souveraineté décisionnelle du consommateur. Cette notion, développée dans l’exposé des motifs de la loi n°2024-217, dépasse la simple protection contre les abus pour affirmer un droit positif à l’autodétermination dans l’environnement numérique. Elle reconnaît que la liberté contractuelle ne peut s’exercer pleinement que dans un contexte technique et informationnel équitable.
Cette évolution conceptuelle se traduit concrètement par l’émergence d’un droit à des interfaces loyales. L’article L.224-42-5 du Code de la consommation impose désormais aux plateformes numériques l’obligation de concevoir leurs interfaces selon des principes d’ergonomie cognitive respectueux de l’autonomie décisionnelle. Le décret d’application n°2024-1122 du 3 septembre 2024 définit les standards techniques de ces interfaces loyales, incluant des exigences de lisibilité, d’accessibilité et de neutralité architecturale.
Le législateur a institué un droit à la délibération qui se matérialise par l’obligation pour tout site e-commerce de proposer une fonction « réflexion » permettant de mettre en attente un panier pendant 24 heures sans modification de prix ni pression commerciale. Cette disposition vise à contrer les techniques d’urgence artificielle et à restaurer un temps de décision serein pour le consommateur. Parallèlement, un droit à l’explication garantit au consommateur la possibilité d’obtenir, après la conclusion d’un contrat, une justification claire des éléments qui ont conduit à lui proposer cette offre spécifique.
La protection des consommateurs vulnérables fait l’objet d’une attention particulière. La loi n°2024-325 introduit une protection renforcée pour certaines catégories de personnes : mineurs, seniors de plus de 70 ans, personnes en situation de handicap cognitif. Pour ces publics, les conditions de validité du consentement sont plus strictes, avec notamment l’obligation d’un délai de réflexion imposé de 48 heures pour tout achat dépassant un certain montant (fixé à 200€ par le décret n°2024-1122).
L’émergence d’un droit à la déconnexion contractuelle constitue peut-être l’innovation la plus audacieuse. L’article L.224-42-9 du Code de la consommation reconnaît désormais au consommateur la possibilité de désigner certaines plages horaires ou contextes (géolocalisation, activité) pendant lesquels aucune sollicitation commerciale ni proposition contractuelle ne peut lui être adressée, même s’il navigue activement sur des sites marchands. Cette disposition consacre l’idée que la capacité à refuser temporairement toute transaction constitue une composante essentielle de l’autonomie du consommateur numérique.